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manquait de mémoire, et se promît d’en profiter pour revenir à la charge. Il était de cette race de gens que rien ne peut convaincre d’erreur à leurs propres yeux ; par conséquent, il était persuadé que son plan d’escalier était bon, et que celui de Pierre était erroné. Il s’étonnait naïvement de la partialité que l’architecte avait mise dans son jugement, et il attendait son adversaire à l’œuvre pour l’humilier. C’est en vain que le prudent auteur de ses jours lui avait conseillé de ne pas se vanter d’une défaite qu’on oublierait ou qu’on passerait sous silence ; Isidore feignait d’adhérer à son conseil, mais il n’en caressait pas moins le projet de se venger.

Le soir, au milieu du souper des Huguenin, un domestique du château vint prier Pierre de se rendre auprès de M. le comte. Ce message fut transmis avec une politesse qui frappa le père Lacrête, présent au souper.

— Jamais je n’ai vu leurs laquais si honnêtes, dit-il tout bas à son compère.

— Je t’assure que mon fils a quelque chose de singulier, répondit de même le père Huguenin. Il impose à tout le monde.

Pierre était monté à sa chambre. Il en redescendit habillé et peigné comme un dimanche. Son père eut envie de l’en plaisanter ; il n’osa pas.

— Excusez ! dit le Berrichon dès que Pierre fut sorti pour se rendre au château. Il s’est fait brave, notre jeune maître ! S’il y va de ce train-là, gare à vous, pays Corinthien ! la petite baronne ne vous regardera plus.

— Assez de plaisanteries là-dessus, dit le père Huguenin d’un ton sévère. Les propos portent toujours malheur, et ceux-là pourraient faire du tort à mon fils. Si vous n’y tenez pas, mon Amaury, vous ne laisserez pas continuer.

— Les paroles oiseuses me déplaisent autant qu’à vous,