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— Il y a un mince mérite à cela, répondit Pierre ; ce n’est qu’un travail d’artisan appliqué et docile. Mais celui qui a dessiné le modèle était un artiste. Celui-là avait le goût, l’invention, le sentiment, aujourd’hui perdu, de la proportion élégante et simple.

Les yeux du comte s’animèrent, et il frappa légèrement le pavé de sa béquille, ce qui était chez lui l’indice d’une surprise et d’une satisfaction intérieure. Le père Huguenin le savait bien, et il le remarqua.

— Mais c’est être artiste que de comprendre et d’exprimer comme vous faites ! dit le comte.

— Nous prenons tous ce titre, répondit Pierre, mais nous ne le méritons pas. Cependant, ajouta-t-il en désignant Amaury, voici un artiste. Il pratique la menuiserie telle qu’on la fait aujourd’hui, parce qu’il faut gagner sa vie ; mais il pourrait inventer d’aussi belles choses que ce qui est ici. S’il y avait dans le château une pièce à décorer, on pourrait consulter les dessins qu’il a faits à ses moments perdus pour son amusement, et l’on y verrait des modèles que les connaisseurs ne critiqueraient pas.

— En vérité ? dit le comte en regardant Amaury, qui, ne s’attendant guère à cette révélation, rougissait jusqu’au blanc des yeux. Est-il votre frère ?

— Non, monsieur le comte ; mais c’est tout-comme, répondit Pierre.

— Eh bien ! nous mettrons ses talents à profit, et les vôtres aussi, monsieur. Charmé de vous connaître ! Je suis bien votre serviteur.

Et le comte l’ayant salué avec politesse, et même avec une certaine déférence, s’éloigna, s’émerveillant tout bas, avec sa petite-fille, du bon sens et de la modestie des réponses de Pierre Huguenin.

La première figure qu’ils rencontrèrent en sortant de la bibliothèque fut celle d’Isidore qui, ayant épié le mo-