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une loge à l’Opéra, un entourage de freluquets, de marchandes de modes, de couturières et de parfumeurs. Reléguée tout à coup dans une usine fumeuse et puante, entourée d’ouvriers ou de chefs d’ateliers qui avaient les intentions meilleures que les manières, n’entendant parler que de laines, de métiers, de salaires, de teintures, de prix-courants et de fournitures, elle n’avait eu d’autres ressources contre le désespoir que de lire des romans le soir et de dormir une partie de la journée, tandis que ses belles robes, ses plumes et ses dentelles, dernières traces d’un luxe effacé, jaunissaient dans les cartons, attendant vainement l’occasion de revoir la lumière. Joséphine avait reçu une pitoyable éducation. Sa mère était bornée et vaine de son argent ; son père n’avait d’autre souci et d’autre occupation que d’amasser de l’argent : leur fille n’avait d’autre désir et d’autre faculté que de dépenser de l’argent. Elle n’était plus propre à rien dès qu’elle n’avait plus de parures à commander ou de partie de plaisir à projeter. Elle était âgée au plus de vingt ans, et parfaitement jolie, mais de cette beauté qui parle aux yeux plus qu’à l’esprit. Ne sachant donc plus que faire de sa beauté, de sa jeunesse et de ses atours, son imagination, vive et riante comme sa figure et son naturel, avait pris l’essor dans le monde des romans. Elle se créait dans la solitude des aventures et des conquêtes merveilleuses ; mais, forcée de retomber dans la réalité, elle n’en était que plus à plaindre. La mélancolie qui s’était emparée d’elle avait suggéré à ses tantes la précaution dangereuse de la séquestrer d’autant plus ; et la pauvre tête de Joséphine, enfermée dans la chaudière industrielle, menaçait de faire explosion, lorsqu’un événement inattendu vint changer son sort.

Le père Clicot tomba dangereusement malade, et, touché des tendres soins que lui prodiguait sa fille, en même