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dressant à ses amis, c’est un philanthrope, un philosophe du siècle dernier…

— Non, monsieur, non, je ne crois pas, répondit Pierre vivement. Le plus libéral de tous ces philosophes était Jean-Jacques Rousseau, et il a dit qu’il n’y a pas de république possible sans esclaves.

— A-t-il pu dire une pareille chose ? s’écria l’avocat. Non, il ne l’a pas dite ; c’est impossible !

— Relisez le Contrat social, répondit Pierre, vous vous en convaincrez.

— Ainsi vous n’êtes pas républicain à la manière de Jean-Jacques ?

— Ni vous non plus, monsieur, je présume.

— Par conséquent vous ne l’êtes pas à la manière de Robespierre ?

— Non, monsieur.

— Eh bien ! vous l’êtes à la manière de La Fayette ! Bravo !

— Je ne sais pas quelle est la manière de La Fayette.

— Son système est celui des gens sages, des ennemis de l’anarchie, des vrais libéraux pour tout dire. Une révolution sans proscriptions, sans échafauds.

— Une révolution dont nous sommes loin par conséquent ! répondit Pierre. Et cependant l’on conspire !…

Ce mot fut suivi d’un silence général.

— Qui est-ce qui conspire ? demanda le commis voyageur avec une assurance enjouée. Personne ici, que je sache.

— Pardonnez-moi, monsieur, répondit Pierre ; moi, je conspire.

— Vous ! comment ? dans quel but ? avec qui ? contre qui ?

— Tout seul, dans le secret de mes pensées, en rêvant presque toujours, en pleurant quelquefois. Je conspire