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plus sur la terre. Notre fonds est sa propriété, puisque c’est lui qui l’a payé en grande partie ; il rentrera ainsi dans son argent et fera marcher notre commerce. Il donnera de l’éducation aux enfants ; car il est instruit lui-même, et sait ce que cela vaut. Enfin il te rendra heureuse et t’aimera comme je t’aime. C’est pourquoi je veux que vous me promettiez tous deux de vous marier ensemble si je suis forcé de vous quitter.

Je fis, comme vous pouvez croire, tout mon possible pour lui ôter cette idée ; mais plus il se sentait périr, plus il songeait à fixer mon sort. Enfin le jour où il reçut les derniers sacrements, il fit venir le Bon-Soutien ; et, sur son lit de mort, il mit nos mains ensemble. Romanet promit tout, en pleurant ; moi, je pleurais trop pour promettre. Mon Savinien rendit l’âme, me laissant désolée de le perdre et bien triste d’être engagée à un homme que je respecte et que j’aime, mais que je ne voudrais pas prendre pour mari. Cependant je sens que je le dois, que je ne peux rester veuve, que le sort de mes enfants et la dernière volonté de mon mari me commandent de prendre cet homme sage et généreux, qui a mis tout son avoir dans nos mains, et à qui je ne pourrais rendre son bien sans ruiner ma famille. Voilà ma position, maître Pierre ; voilà ce qu’il faut dire au Corinthien, afin qu’il ne pense plus à moi, comme moi je vais prier le bon Dieu de ne plus me laisser penser à lui.

— Tout ce que vous m’avez dit est d’une femme vertueuse et d’une bonne mère, répondit Pierre. Je vous approuve de combattre dans ce moment le souvenir du Corinthien, et je vais lui conseiller de ne pas se livrer à de trop vives espérances. Cependant, ma bonne Mère, permettez-moi, et promettez à mon ami, de ne pas croire absolument que tout soit perdu. J’ai assez connu notre Savinien pour être bien sûr que s’il eût pu lire au fond de