Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— C’est à la vis et à la mort entre nous pour l’estime, mon fils Amaury.

— Et pour l’amitié ? s’écria le jeune homme enhardi et troublé à la fois.

— Amitié veut dire une chose entre les hommes, et une autre entre hommes et femmes, répondit-elle naïvement. Vous avez la mienne comme si nous étions deux hommes ou deux femmes.

Amaury ne répondit rien. La robe noire de la veuve lui imposait silence. Elle s’éloigna, et Pierre reprit, en regardant son ami qui la suivait des yeux : — Et maintenant, frère, veux-tu encore partir ? N’es-tu pas retenu ici par quelque chose de plus cher et de plus sérieux que la gloire ?

— Je serais à la veille d’être son mari, répondit le Corinthien, que pour sauver ton honneur je partirais encore. Mais nous n’en sommes pas là. Je ne peux rester ici. Je ne sais où je prendrais la force de ne jamais dire ce que je pense ; et ce que je pense, une femme en deuil ne doit pas l’entendre. Je manquerais à moi-même, à la mémoire de Savinien ; je perdrais l’estime de la Savinienne, et tout cela malgré moi. Fais-moi partir, Pierre, tu me rendras service, peut-être plus qu’à toi-même.

Pierre sentit que son ami avait raison. — Eh bien ! quant à moi, j’accepte, dit-il ; mais je doute fort que la société y consente. Dans l’excès de ta modestie, tu oublies que si le concours a lieu, on aura besoin de toi plus que de tout autre, et qu’on ne te laissera pas partir ainsi. Quelle que soit l’issue de nos différends avec le Devoir, ta présence ici est regardée comme nécessaire, puisqu’on t’a convoqué.

— Pierre, Pierre ! s’écria le Corinthien avec tristesse, as-tu donc oublié déjà ce que tu me disais hier soir sur la chaussée ? N’es-tu pas dégoûté de ce pacte qui nous subor-