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Quelquefois, malgré l’arrêt du sort, il vous est permis de sortir de votre misère : mais à quelles conditions ? Il faut que vous soyez très-laborieux, très-persévérants, et peut-être très-égoïstes : il faut que vous vous éleviez par le gain, l’avarice et l’âpreté au travail au-dessus de tous vos pareils ; car quels sont ceux d’entre nous qui réussissent à amasser quelque bien et à s’établir quelque part ? Ceux-là seulement qui ont un héritage, ou bien ceux qui ont un génie supérieur. Je sais le respect qu’on doit à l’intelligence ; mais trouvez-vous bien juste, bien généreux qu’un homme croupisse dans la misère et périsse sur la paille, parce que Dieu ne lui a pas donné autant d’esprit ou de santé qu’à vous ? Quel est l’esprit de notre société, quelle est sa cause, quel est son but ? La nécessité d’employer l’intelligence et le courage des uns à stimuler et à corriger l’ineptie ou la mollesse des autres ; et pour cela il faut les soutenir et les aider de notre gain, c’est-à-dire de notre travail, jusqu’à ce qu’ils aient profité de nos leçons et reconnu la nécessité de travailler eux-mêmes sans se ménager.

La pensée qui a institué le Devoir de liberté, et, permettez-moi de vous le dire, la pensée qui a institué les différents Devoirs de compagnonnage, est donc grande, morale, vraie, et selon les desseins de Salomon[1]. Eh bien ! ce que vous faites lorsque vous travaillez à expulser une société est tout à fait opposé à cette pensée auguste, à ces suprêmes desseins. Si les travailleurs du Temple ont cru devoir se diviser en diverses tribus sous la conduite de plusieurs chefs, c’est que leur mission était de par-

  1. Salomon était alors pour les compagnons et sera encore longtemps pour un grand nombre un être de raison, une sorte de fétiche auquel on attribue toutes les perfections, toutes les puissances. Son nom équivaut presque à celui de l’Éternel, et Pierre Huguenin devait l’employer pour donner plus d’autorité à son invocation religieuse.