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Et Pierre avait bien de la peine à leur faire comprendre que, s’il eût été riche, il eût mieux aimé se charger de toute la dépense que de laisser la société se ruiner, s’endetter pour vingt ans peut-être.

— La société s’imposera toutes les privations, s’il le faut, répondaient-ils. L’honneur est plus précieux pour elle que la richesse. Laissez-nous abaisser l’orgueil des dévorants, leur prouver que nous seuls connaissons la partie, les forcer de nous céder la place, et vous verrez ensuite que personne ne se plaindra.

— Ce n’est pas vous qui vous plaindrez, dit, à ce propos, Pierre Huguenin à un des plus exaltés aspirants au concours ; vous qui allez recueillir tout l’honneur du combat si vous gagnez, et qui, même en cas de défaite, serez indemnisé et récompensé de vos peines par la société. Mais tous ces jeunes affiliés qui, par la suite, viendront admirer dans vos salles d’études le chef-d’œuvre de votre concours, seront-ils dédommagés, par la vue de ce trophée, des leçons qui leur manqueront et des avances qui ne pourront leur être faites ? Quant à moi, j’approuve le principe de l’émulation, mais à condition que la gloire des uns n’appauvrira pas les autres, et que les écoliers ne payeront pas pour rester écoliers, en proclamant la science des maîtres de l’art.

Ces bonnes raisons commençaient à avoir prise sur les gens désintéressés. Pierre Huguenin essaya de les dissuader de leur ambitieux dessein par des raisons non plus positives, mais plus larges. Il s’abandonna aux sentiments et aux idées qui depuis longtemps fermentaient dans son cœur, en leur démontrant le tort moral que de semblables luttes causaient de part et d’autre aux sociétés.

— N’est-ce pas, leur dit-il, une grande injustice que nous commettons, lorsque nous disons à des hommes laborieux et nécessiteux comme nous : Cette ville ne sau-