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si votre avis est bon, on s’y rendra, et que s’il est mauvais, on vous pardonnera votre erreur.

On se sépara sur cette sage décision. Une partie des compagnons présents logeait chez la Mère. Une petite chambre avait été préparée pour Huguenin et Amaury, qui y furent conduits par la servante. La Mère s’était retirée avant la fin du souper.

Quand les deux amis furent couchés dans le même lit suivant l’antique usage des gens du peuple, Huguenin, cédant à la fatigue, allait s’endormir ; mais l’agitation de son ami ne le lui permit pas. — Frère, dit le jeune homme, je t’ai dit qu’un jour viendrait peut-être où je pourrais te confier mon secret. Eh bien, ce jour est venu plus tôt que je ne le prévoyais. Je suis amoureux de la Savinienne.

— Je m’en suis aperçu ce soir, répondit Pierre.

— Je n’ai pu, reprit le Corinthien, maîtriser mon émotion en apprenant qu’elle était libre, et un instant de folle joie a dû me trahir. Mais bientôt la voix de ma conscience m’a reproché ce sentiment coupable, car j’étais l’ami de Savinien. Ce digne homme avait pour moi une affection particulière. Tu sais qu’il m’appelait son Benjamin, son saint Jean-Baptiste, son Raphaël : il n’était pas ignorant, et il avait des expressions et des idées poétiques. Excellent Savinien ! j’eusse donné ma vie pour lui, et je la donnerais encore pour le rappeler sur la terre ; car la Savinienne l’aimait, et il la rendait heureuse. C’était un homme plus précieux et plus utile que moi en ce monde.

— J’ai compris tout ce qui se passait dans ton cœur, dit l’Ami-du-trait.

— Est-il possible ?

— On lit aisément dans le cœur de ceux qu’on aime. Eh bien, maintenant qu’espères-tu ? La Savinienne connaît ton amour, et je crois qu’elle y répond. Mais es-tu le mari qu’elle choisirait ? Ne le trouvera-t-elle pas bien