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gnons passants, occupent la rive droite. Ils sont tenus par une convention à travailler du côté du fleuve où leur domicile est fixé. Ils se battent néanmoins, et les autres compagnies ne tolèrent pas toujours. Mais en général on peut dire que le compagnonnage, avec ses pouvoirs et ses passions, se trouve là comme perdu et absorbé au sein du grand mouvement qui entraîne tout vers une marche indépendante et soutenue.

Ce qui conserve dans les provinces l’importance du compagnonnage, c’est l’instruction, l’ardeur belliqueuse, l’esprit d’association et l’habitude d’organisation régulière infusée à une masse de jeunes gens qu’y jettent un caractère entreprenant, l’amour du progrès, le besoin d’échapper à l’isolement, à l’ignorance et à la misère. Ce sont les nobles enfants perdus de la grande famille des travailleurs, les artistes bohémiens de l’industrie, les Mamertins audacieux de la Rome primitive. Les uns y sont poussés par le despotisme grossier de la famille qui les opprimait et les exploitait ; les autres, par l’absence de famille et de premier capital. Une position perdue, un amour contrarié, un sentiment d’orgueil légitime, et par-dessus tout le besoin de voir, de respirer et de vivre, y poussent chaque année l’élite d’une ardente jeunesse. Le tour de France, c’est la phase poétique, c’est le pèlerinage aventureux, la chevalerie errante de l’artisan. Celui qui ne possède ni maison ni patrimoine s’en va sur les chemins chercher une patrie, sous l’égide d’une famille adoptive qui ne l’abandonne ni durant la vie ni après la mort. Celui même qui aspire à une position honorable et sûre dans son pays veut, tout au moins, dépenser la vigueur de ses belles années, et connaître les enivrements de la vie active. Il faudra qu’il revienne au bercail, et qu’il accepte la condition laborieuse et sédentaire de ses proches. Peut-être, dans tout le cours de cette future existence, ne retrou-