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plus long que moi sur tout cela, et je ne trouve rien à te répondre. Je me sens triste avec toi, et ne sais aucun remède à notre mal.

CHAPITRE X.

Il y aurait de curieuses recherches à faire pour découvrir, dans le passé, les causes d’inimitié qui présidèrent à ces dissensions dont se plaignait Pierre Huguenin parmi les différentes associations d’ouvriers. Mais ici règne une profonde obscurité. Les ouvriers, s’ils les connaissent, les cachent bien ; et je crois fort qu’ils ne les connaissent guère mieux que nous. Que signifie, par exemple, entre les deux plus anciennes sociétés, celle de Salomon et celle de Maître Jacques, autrement dites des gavots et des dévorants, autrement dites encore le Devoir et le Devoir de liberté, cette interminable et sanglante question du meurtre d’Hiram dans les chantiers du temple de Jérusalem, question qu’au reste la plupart des compagnons prennent au sérieux et dans le sens le plus matériel ? Chaque société renvoie à sa rivale cette terrible accusation ; c’est à qui s’en lavera les mains ; on se les couvre de gants dans les solennités de l’ordre, pour témoigner qu’on est pur de ce crime : on se provoque, on s’assomme, on s’étrangle, pour venger la mémoire d’Hiram, le conducteur des travaux du temple, égorgé et caché sous les décombres par une moitié jalouse et cruelle de ses travailleurs. Il y a là sans doute quelque grand fait historique, ou quelque principe vital du passé et de l’avenir du peuple, caché sous une fiction qui n’est pas sans poésie. Mais, comme chez les peuples enfants, le mythe est pris à la lettre par les ouvriers, véritable race de l’enfance, imbue de toutes les illusions crédules, de tous les instincts indomptés, de tous les élans tendres et candides de l’enfance. Oui, chère et