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DE M. ANTOINE

pondit tristement le marquis, et ce n’est pas la première fois qu’il m’arrive de perdre l’empire de ma raison pour des misères. C’est à cause de cela que je vis seul, que je ne sors pas, et que je me montre le moins possible. Ne suis-je pas assez puni ? »

Jean ne répliqua pas ; ce triste aveu faisait succéder la pitié à la colère.

« Maintenant, dites-moi ce que je puis faire pour réparer mon tort, reprit M. de Boisguilbault d’une voix tremblante.

— Rien, répondit le charpentier, je vous pardonne.

— Je vous en remercie, Jean. Voulez-vous venir travailler chez moi ?

— À quoi bon, puisque je travaille ici pour vous ? Ma figure vous ennuie, et il ne tenait qu’à vous de ne pas la voir. Je n’allais pas vous chercher. Et puis, vous voudriez me payer mes journées, et quand je travaille pour vos métayers, vous ne pouvez pas me contraindre à recevoir leur argent.

— Mais ton travail me profite, puisque l’ouvrage reste acquis à mes propriétés. Jean, je ne veux pas qu’il en soit ainsi.

— Ah ! vous ne voulez pas ? Je m’en moque bien, moi ! Vous ne pouvez pas m’empêcher de m’acquitter de cette façon-là ; et, puisque vous m’avez injurié et battu, je m’acquitterai, mordieu ! pour vous faire enrager. Ça vous humilie, pas vrai ? Eh bien, ça me venge.

— Venge-toi autrement.

— Et comment donc ? Que je vous frappe ? Nous ne serions pas quittes : je resterais toujours votre obligé, et je ne veux rien vous devoir.

— Eh bien, acquitte-toi, si bon te semble, puisque tu es si fier et si têtu, dit le marquis perdant patience. Tu es aveugle et méchant, puisque tu ne vois pas la peine que