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LE PÉCHÉ

pas encore s’en rapporter au témoignage de ses yeux :

« Et pourquoi n’avez-vous pas attendu mes ordres pour les enlever ? dit-il, ne vous ai-je pas défendu cent fois de mettre la cognée à un seul arbre sans m’avoir consulté ?

— Mais, not’maître, vous ne vous souvenez donc pas que j’ai été vous avertir de ce dégât, le lendemain même de la dribe ? que vous m’avez dit : “En ce cas, il faut les ôter de là et en planter d’autres ? ” Voilà le temps propice pour planter, et je me dépêchais de faire de la place, d’autant plus qu’il y a là de beaux et bons arbres pour faire des échelles de longueur, et que ça ne m’aurait pas contenté de vous les laisser perdre. Si vous voulez donner un coup de pied jusque dans notre cour, vous verrez qu’il y en a une douzaine de rangés sous le hangar, et demain nous y porterons le reste.

— À la bonne heure, répondit M. de Boisguilbault, honteux de sa précipitation. Je me souviens, en effet, de vous avoir permis de le faire. Je l’avais oublié : j’aurais dû venir voir cela plus tôt.

— Dame ! vous sortez si peu, not’maître ! dit le bon paysan. L’autre jour, pourtant, j’avais rencontré M. Émile, comme il allait vous voir, et je lui avais montré le dommage, en lui recommandant de vous en faire souvenir. Il l’aura donc oublié ?

— Apparemment, dit M. de Boisguilbault ; n’importe, rentrez chez vous, car voici la nuit et l’orage.

— Mais vous allez vous mouiller, not’maître, il faut venir attendre à la maison que la pluie ait fini de tomber.

— Non pas, dit le marquis, elle peut durer longtemps, et je ne suis pas assez loin de chez moi pour ne pouvoir rentrer à temps.

— Not’maître, vous n’aurez pas le temps, la voilà qui commence, et ça va tomber dru !