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LE PÉCHÉ

— Vous avez ma foi et mon âme, et ce n’est rien pour vous ?

— Partez donc ! dit Émile en faisant un violent effort pour désunir ses bras qui retenaient obstinément la taille souple de Gilberte ; je suis encore heureux en vous laissant partir ! Voyez si je vous aime, si je crois en vous et en moi-même !

— Croyez en Dieu, dit Gilberte ; il nous protégera ! »

Et elle disparut à travers les branches.

Émile resta longtemps à la place qu’elle venait de quitter ; il baisa l’herbe que ses pieds avaient à peine foulée, l’arbre qu’elle avait effleuré de sa robe, et, longtemps couché dans ce taillis, témoin mystérieux de son dernier bonheur, il ne s’en arracha qu’avec peine. Gilberte courut après son père, qui avait repris le chemin des ruines et qui marchait vite devant elle. Tout à coup il se retourna, et, revenant sur ses pas : « Ah ! ma pauvre enfant, je retournais te chercher, dit-il avec simplicité.

— C’est-à-dire, mon père, que vous m’aviez oubliée derrière vous, répondit Gilberte en s’efforçant de sourire.

— Non, non… ne dis pas cela ; Janille prétendrait que c’est une distraction ! Je pensais à toi justement ; cette lettre de M. Cardonnet me trotte toujours par la tête. Peut-être qu’Émile nous attend à la maison, qui sait ? il n’aura pu venir plus tôt ; son père l’aura retenu. Rentrons vite ; je parie qu’il est là ! »

Et le bonhomme doubla le pas avec confiance. Janille était d’une humeur massacrante ; elle ne pouvait s’expliquer la lenteur d’Émile et concevait de graves inquiétudes. Gilberte essaya de les distraire, et pendant le souper elle se montra calme et presque gaie.

Mais à peine fut-elle seule dans sa chambre, qu’elle se jeta à genoux, la figure contre son lit, pour étouffer les sanglots qui brisaient sa poitrine.