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LE PÉCHÉ

et fière en même temps, s’exprimant bien, ne manquant ni de tenue, ni de bonnes manières, ni d’éducation, ni de raison surtout ! Elle a refusé le prétendant que je lui offrais avec beaucoup de convenance. Oui, vraiment, de la douceur, de la modestie et de la dignité ! J’ai été fort content d’elle ! Ce qui m’a le plus frappé, c’est sa prudence, sa réserve, et l’empire qu’elle a sur elle-même ; car je t’avoue bien que j’ai essayé de la piquer un peu, et même de l’offenser, pour voir le fond de son caractère. Le père était absent ; mais la mère, cette drôle de petite vieille, dont tu aspires à devenir le gendre, était si fort irritée de mes réflexions sur son peu de fortune et sur la convenance parfaite d’un mariage avec Galuchet, qu’elle m’a traité du haut en bas ; elle m’a appelé bourgeois ; et comme je m’obstinais, exprès pour la pousser à bout, elle m’a dit, en mettant le poing sur la hanche, que sa fille était de trop bonne maison pour épouser le domestique d’un usinier ; et que, quand même le fils de l’usinier se présenterait, on y regarderait encore à deux fois avant de se mésallier à ce point. Elle m’amusait beaucoup ! Mais Gilberte réparait tout par son air calme et ferme. Je t’assure qu’elle tient à merveille le serment qu’elle t’a fait de patienter, d’attendre et de tout souffrir pour l’amour de toi.

— Oh ! vous l’avez donc bien fait souffrir ? s’écria Émile hors de lui.

— Oui, un peu, répondit tranquillement M. Cardonnet, et j’en suis bien aise. À présent, je sais qu’elle a du caractère, et je serais fort aise d’avoir une telle personne auprès de moi. Cela peut être très utile dans un ménage, et rien n’est pis que d’avoir pour femme un être à la fois passif et têtu, qui ne sait que soupirer et se taire, comme… beaucoup que je connais. Cela me ferait plaisir, à moi, de me disputer quelquefois avec ma belle-fille, et de m’aper-