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Vénitiens dans Venise ! — Rêvons-nous, sommes-nous en fête ? Oui, oui, dansons, rions, chantons ! C’est l’heure où l’ombre de Faliero descend lentement l’escalier des Géants, et s’assied immobile sur la dernière marche. Dansons, rions, chantons ! car tout à l’heure la voix de l’horloge dira : Minuit ! et le chœur des morts viendra crier à nos oreilles ! Servitude ! servitude ! »

En achevant ces mots, elle laissa tomber sa guitare qui rendit un son funèbre en heurtant les dalles, et l’horloge sonna. Tout le monde écouta sonner les douze coups dans un silence sinistre. Alors le maître du palais s’avança vers l’inconnue d’un air moitié effrayé, moitié irrité.

« Madame, lui dit-il d’une voix émue, qui m’a fait l’honneur de vous amener chez moi ?

— Moi, s’écria Franz en s’avançant ; et si quelqu’un le trouve mauvais, qu’il parle. »

L’inconnue, qui n’avait pas paru faire attention à la question du maître, leva vivement la tête en entendant la voix du comte.

« Je vis, s’écria-t-elle avec enthousiasme, je vivrai. »

Et elle se retourna vers lui avec un visage rayonnant. Mais, quand elle l’eut vu, ses joues pâlirent, et son front se chargea d’un sombre nuage.

« Pourquoi avez-vous pris ce déguisement ? lui dit-elle d’un ton sévère en lui montrant son uniforme.

— Ce n’est point un déguisement, répondit-il, c’est… »

Il n’en put dire davantage. Un regard terrible de l’inconnue l’avait comme pétrifié. Elle le considéra quelques secondes en silence, puis laissa tomber de ses yeux deux grosses larmes. Franz allait s’élancer vers elle. Elle ne lui en laissa pas le temps.

« Suivez-moi », lui dit-elle d’une voix sourde.

Puis elle fendit rapidement la foule étonnée, et sortit du bal suivie du comte.