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celles d’un suicide. Elle était dans un état impossible à rendre, lorsque Lavallée entra et lui dit qu’il venait de rencontrer Pauline dans un fiacre sur les boulevards. On attendit son retour avec anxiété ; elle ne rentra pas pour dîner. Personne ne put manger ; la famille était consternée ; on craignait de faire un outrage à Pauline en la supposant en fuite. Enfin, Lavallée allait s’informer d’elle chez Montgenays, au risque d’une scène orageuse, lorsque Laurence reçut une lettre ainsi conçue :

« Vous m’avez chassée, je vous en remercie. Il y avait longtemps que le séjour de votre maison m’était odieux, j’avais senti, dès le premier jour, qu’il me serait funeste. Il s’y était passé trop de scandales et d’orages pour qu’une âme paisible et honnête n’y fût pas flétrie ou brisée. Vous m’avez assez avilie ! vous avez fait de moi votre servante, votre dupe et votre victime ! Je n’oublierai jamais le jour où, dans votre loge au théâtre, trouvant que je ne vous habillais pas assez vite, vous m’avez arraché des mains votre diadème de reine, en disant : « Je me couronnerai bien sans toi et malgré toi ! » Vous vous êtes couronnée en effet ! Mes larmes, mon humiliation, ma honte, mon déshonneur (car vous m’avez déshonorée dans votre famille et parmi vos amis), ont été les glorieux fleurons de votre couronne ; mais c’est une royauté de théâtre, une majesté fardée, qui n’en impose qu’à vous-même et au public qui vous paie. Maintenant, adieu ; je vous quitte pour jamais, dévorée de la honte d’avoir vécu de vos bienfaits ; je les ai payés cher. »

Laurence n’acheva pas cette lettre ; elle continuait sur ce ton pendant quatre pages : Pauline y avait versé le fiel amassé lentement durant quatre ans de rivalité et de jalousie. Laurence la froissa dans ses mains et la jeta au feu sans vouloir en lire davantage. Elle se mit au lit avec la fièvre, et y resta huit jours accablée, brisée jusque