Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vertement, il feignait de vouloir le détromper, mais avec une gaucherie si adroite que le mystifié s’enferrait de plus en plus. Enfin, durant le cinquième acte, Lavallée alla trouver madame S… — Emmenez coucher Pauline, lui dit-il ; faites-vous accompagner de la femme de chambre, et ne la renvoyez à votre fille qu’un quart d’heure après la fin du spectacle. Il faut que Montgenays ait un tête-à-tête avec Laurence dans sa loge. Le moment est venu ; il est à nous : je serai là, caché derrière la psyché ; je ne quitterai pas votre fille d’un instant. Allez, et fiez-vous à moi.

Les choses se passèrent comme il l’avait prévu, et le hasard les seconda encore. Laurence, rentrant dans sa loge, appuyée sur le bras de Montgenays, et n’y trouvant personne (Lavallée était déjà caché derrière le rideau qui couvrait les costumes accrochés à la muraille, et la glace le masquait en outre), demanda où était sa mère et son amie. Un garçon de théâtre qui passait dans le couloir, et à qui elle adressa cette question, lui répondit (et cela était malheureusement vrai) qu’on avait été forcé d’emporter mademoiselle D… qui avait des convulsions. Laurence ne savait pas la scène que lui ménageait Lavallée ; d’ailleurs elle l’eût oubliée en apprenant cette triste nouvelle. Son cœur se serra, et, l’idée des souffrances de son amie se joignant à la fatigue et aux émotions de la soirée, elle tomba sur son siège et fondit en larmes. C’est alors que l’impertinent Montgenays, se croyant le maître et le tourment de ces deux femmes, perdit toute prudence, et risqua la déclaration la plus désordonnée et la plus froidement délirante qu’il eût faite de sa vie. C’était Laurence qu’il avait toujours aimée, disait-il ; c’était elle seule qui pouvait l’empêcher de se tuer ou de faire quelque chose de pis, un suicide moral, un mariage de dépit. Il avait tout tenté pour se guérir d’une passion qu’il ne