Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 2.djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.

des couronnes, il ne dormait point, et passait la nuit à machiner ses plans de séduction. Ce soir-là, il assistait à la représentation, dans une petite loge sur le théâtre, avec Pauline, madame S… et Lavallée. Il était si agité des applaudissements frénétiques que recueillait la belle tragédienne, qu’il ne songeait pas seulement à la présence de Pauline. Deux ou trois fois il la froissa avec ses coudes (on sait que ces loges sont fort étroites) en battant des mains avec emportement. Il désirait que Laurence le vît, l’entendît par-dessus tout le bruit de la salle ; et Pauline s’étant plainte avec aigreur de ce que son empressement à applaudir l’empêchait d’entendre les derniers mots de chaque réplique, il lui dit brutalement : — Qu’avez-vous besoin d’entendre ? Est ce que vous comprenez cela, vous ?

Il y avait des moments où, malgré ses habitudes de diplomatie, Montgenays ne pouvait réprimer un dédain grossier pour cette malheureuse fille. Il ne l’aimait point, quelles que fussent sa beauté et les qualités réelles de son caractère ; et il s’indignait en lui-même de l’aplomb crédule de cette petite bourgeoise, qui croyait effacer à ses yeux l’éclat de la grande actrice ; et lui aussi était fatigué, dégoûté de son rôle. Quelque méchant qu’on soit, on ne réussit guère à faire le mal avec plaisir. Si ce n’est le remords, c’est la honte qui paralyse souvent les ressources de la perversité.

Pauline se sentit défaillir. Elle garda le silence ; puis, au bout d’un instant, elle se plaignit de ne pouvoir supporter la chaleur ; elle se leva et sortit. La bonne madame S…, qui la plaignait sincèrement, la suivit et la conduisit dans la loge de Laurence, où Pauline tomba sur le sofa et perdit connaissance. Tandis que madame S… et la femme de chambre de Laurence la délaçaient et tâchaient de la ranimer, Montgenays, incapable de songer au mal qu’il lui avait fait, continuait à admirer et à applaudir la tragé-