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emportait Laurence. Peu à peu le ton de supériorité morale que, par un noble orgueil, la jeune provinciale avait gardé dans ses premières lettres avec la comédienne, fit place à un ton de résignation douloureuse qui, loin de diminuer l’estime de son amie, la toucha profondément. Enfin les plaintes s’exhalèrent du cœur de Pauline, et Laurence fut forcée de se dire, avec une sorte de consternation, que l’exercice de certaines vertus paralyse l’âme des femmes, au lieu de la fortifier. — Qui donc est heureux, demanda-t-elle un soir à sa mère en posant sur son bureau une lettre qui portait la trace des larmes de Pauline ; et où faut-il aller chercher le repos de l’âme ? Celle qui me plaignait tant au début de ma vie d’artiste se plaint aujourd’hui de sa réclusion d’une manière déchirante, et me trace un si horrible tableau des ennuis de la solitude, que je suis presque tentée de me croire heureuse sous le poids du travail et des émotions.

Lorsque Laurence reçut la nouvelle de la mort de l’aveugle, elle tint conseil avec sa mère, qui était une personne fort sensée, fort aimante, et qui avait eu le bon esprit de demeurer la meilleure amie de sa fille. Elle voulut la détourner d’un projet qu’elle caressait depuis quelque temps : celui de se charger de l’existence de Pauline en lui faisant partager la sienne aussitôt qu’elle serait libre. — Que deviendra cette pauvre enfant désormais ? disait Laurence. Le devoir qui l’attachait à sa mère est accompli. Aucun mérite religieux ne viendra plus ennoblir et poétiser sa vie. Cet odieux séjour d’une petite ville n’est pas fait pour elle. Elle sent vivement toutes choses, son intelligence cherche à se développer. Qu’elle vienne donc près de nous ; puisqu’elle a besoin de vivre, elle vivra.

— Oui, elle vivra par les yeux, répondit madame S…, la mère de Laurence ; elle verra les merveilles de l’art, mais son âme n’en sera que plus inquiète et plus avide.