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la gagnaient entre ces deux victimes. Un nuage passa sur ses yeux et un frisson dans ses veines. Vers le soir, elle était accablée de fatigue, quoiqu’elle n’eût pas fait un pas de la journée. Déjà l’horreur de la vie réelle se montrait derrière cette poésie, dont au premier moment elle avait, de ses yeux d’artiste, enveloppé la sainte existence de Pauline. Elle eût voulu pouvoir persister dans son illusion, la croire heureuse et rayonnante dans son martyre comme une vierge catholique des anciens jours, voir la mère heureuse aussi, oubliant sa misère pour ne songer qu’à la joie d’être aimée et assistée ainsi ; enfin elle eût voulu, puisque ce sombre tableau d’intérieur était sous ses yeux, y contempler des anges de lumière, et non de tristes figures chagrines et froides comme la réalité. Le plus léger pli sur le front angélique de Pauline faisait ombre à ce tableau ; un mot prononcé sèchement par cette bouche si pure détruisait la mansuétude mystérieuse que Laurence, au premier abord, y avait vue régner. Et pourtant ce pli au front était une prière ; ce mot errant sur les lèvres, une parole de sollicitude ou de consolation ; mais tout cela était glacé comme l’égoïsme chrétien, qui nous fait tout supporter en vue de la récompense, et désolé comme le renoncement monastique, qui nous défend de trop adoucir la vie humaine à autrui aussi bien qu’à nous-mêmes.

Tandis que le premier enthousiasme de l’admiration naïve s’affaiblissait chez l’actrice, tout aussi naïvement et en dépit d’elles-mêmes, une modification d’idées s’opérait en sens inverse chez les deux bourgeoises. La fille, tout en frémissant à l’idée des pompes mondaines où son amie s’était jetée, avait souvent ressenti, peut-être à son insu, des élans de curiosité pour ce monde inconnu, plein de terreurs et de prestiges, où ses principes lui défendaient de porter un seul regard. En voyant Laurence, en admirant sa beauté, sa grâce, ses manières tantôt nobles