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vant leurs yeux. Ma mère appelle cela des visions. Moi, je sais bien que je ne suis pas folle ; mais je pense que Dieu permet souvent, pour me consoler dans mon isolement, que les personnes que j’aime m’apparaissent tout à coup au milieu de mes rêveries. Va, bien souvent je t’ai vue là devant cette porte, debout comme tu étais tout à l’heure, et me regardant d’un air indécis. J’avais coutume de ne rien dire et de ne pas bouger, pour que l’apparition ne s’envolât pas. Je n’ai été surprise que quand je t’ai entendue parler. Oh ! alors ta voix m’a réveillée ! elle est venue me frapper jusqu’au cœur ! Chère Laurence ! c’est donc toi vraiment ! dis-moi bien que c’est toi !

Quand Laurence eut timidement exprimé à son amie la crainte qui l’avait empêchée depuis plusieurs années de lui donner des marques de son souvenir, Pauline l’embrassa en pleurant.

— Oh mon Dieu ! dit-elle, tu as cru que je te méprisais, que je rougissais de toi ! moi qui t’ai conservé toujours une si haute estime, moi qui savais si bien que dans aucune situation de la vie il n’était possible à une âme comme la tienne de s’égarer !

Laurence rougit et pâlit en écoutant ces paroles ; elle renferma un soupir, et baisa la main de Pauline avec un sentiment de vénération.

— Il est bien vrai, reprit Pauline, que ta condition présente révolte les opinions étroites et intolérantes de toutes les personnes que je vois. Une seule porte dans sa sévérité un reste d’affection et de regret : c’est ma mère. Elle te blâme, il faut bien t’attendre à cela ; mais elle cherche à t’excuser, et l’on voit qu’elle lance sur toi l’anathème avec douleur. Son esprit, n’est pas éclairé, tu le sais ; mais son cœur est bon, pauvre femme !

— Comment ferai-je donc pour me faire accueillir ? demanda Laurence.