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DE M. ANTOINE.

d’opulence et d’austérité qui caractérisait Boisguilbault. Il essaya, par des réflexions libérales, d’empêcher que le marquis ne le crût ébloui de sa vieille splendeur. M. de Boisguilbault, qui ne manquait pas de finesse sous sa gaucherie, et qui l’attendait à ce moment-là pour lui faire accepter la plus rude de ses exigences, lui répondit avec calme et en abondant dans son sens. Cardonnet s’en montra fort surpris, car il croyait avec tout le monde, que le marquis avait conservé tout l’orgueil de sa caste et tout le ridicule des principes de la restauration. Et comme il ne put s’empêcher de marquer son étonnement, M. de Boisguilbault lui dit avec douceur : « Vous ne me connaissez pas, monsieur Cardonnet ; je suis aussi ennemi des distinctions et des privilèges que vous-même. Je crois les hommes égaux en droits et en valeur, lorsqu’ils sont honnêtes et bons. »

En ce moment, on vint annoncer que le dîner était servi, et, comme on s’y rendait, maître Jean Jappeloup, bien rasé et endimanché, sortit du chalet, et repoussant Émile avec gaieté, il prit la main de Gilberte pour la conduire à table :

« C’est mon droit, dit-il ; vous savez, Émile, que je vous ai promis d’être votre témoin et votre garçon de noces ! »

Tout le monde accueillit le charpentier avec transport, excepté M. Cardonnet, qui n’osa pourtant pas être moins libéral, en cette circonstance, que le vieux marquis, et qui se contenta de sourire en le voyant prendre place au repas de famille. Il se résigna à tout, se promettant bien de changer de ton, quand le mariage serait conclu.

Le dîner, servi sous les ombrages du parc, fut splendide de fleurs, exquis dans les mets, et le vieux Martin, que son maître avait prévenu de grand matin, se surpassa lui-même dans l’ordonnance du service. Sylvain