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LE PÉCHÉ

guilbault. Si j’ai choisi Émile pour mon héritier, c’est parce que je crois qu’il ne me ressemblera en aucune façon, et qu’il saura tirer un meilleur parti que moi de la fortune. »

Cardonnet ne demandait qu’à céder. Il se disait qu’en refusant, il s’aliénait à jamais son fils, et qu’en consentant de bonne grâce, il pouvait ressaisir assez d’influence pour lui apprendre à se servir de sa richesse comme il l’entendait : c’est-à-dire qu’il calculait qu’avec quatre millions on pouvait en avoir un jour quarante, et il était convaincu qu’aucun homme, fût-il un saint, ne peut posséder tout à coup quatre millions sans prendre goût à la richesse. « Il fera d’abord des folies, pensait-il, il perdra une partie de ce trésor ; et quand il le verra diminuer, il en sera si effrayé qu’il voudra combler le déficit ; puis, comme l’appétit vient à ceux qui consentent à manger, il voudra doubler, décupler, centupler… Moi aidant, nous pouvons être un jour les rois de la finance. »

« Je n’ai pas le droit, dit-il enfin, de refuser la fortune offerte à mon fils. Je le ferais si je le pouvais, parce que tout cela est contre mes opinions et mes idées : mais la propriété est une loi sacrée. Du moment que mon fils reçoit un pareil don, il est propriétaire. Je le dépouillerais, en refusant d’accéder aux conditions exigées. Je dois donc garder à jamais le silence sur tout ce qui blesse ma conviction dans cet arrangement bizarre, et puisque je suis contraint de céder, je veux au moins le faire avec grâce… d’autant plus que la beauté, l’esprit et le noble caractère de mademoiselle Gilberte flattent mon égoïsme en promettant du bonheur à ma famille.

— Puisque tout est convenu, dit M. de Boisguilbault en se levant et en faisant signe par la fenêtre, je prierai mademoiselle Gilberte, qui a, comme moi, le goût des fleurs, d’accepter le bouquet des fiançailles. »