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DE M. ANTOINE.

qu’il faudrait céder et qu’il valait mieux avoir les honneurs de la guerre que de subir les nécessités de la capitulation.

« Mes intentions ont été si éloignées de ce que M. de Châteaubrun les suppose, dit-il, et il y a toujours eu dans ma pensée tant de respect et d’estime pour mademoiselle sa fille, que je n’hésiterai point à désavouer tout ce qui a pu être mal interprété dans mes paroles. Je supplie mademoiselle Gilberte d’en être persuadée, et je tends la main à son père comme un gage du serment que j’en fais.

— Il suffit, monsieur, n’en parlons plus ! dit M. Antoine en lui prenant la main : quittons-nous sans ressentiment. Antoine de Châteaubrun n’a jamais su mentir.

« C’est vrai, pensa M. de Boisguilbault : s’il eût été plus dissimulé, j’aurais été aveugle… et heureux comme tant d’autres ! »

« Maintenant, lui dit-il d’une voix tremblante, je te remercie, Antoine, viens m’embrasser ! »

L’accolade du comte fut passionnée et enthousiaste ; celle du marquis convenable et contrainte. Il jouait un rôle au-dessus de ses forces : il pâlit, trembla, et fut forcé de s’asseoir. Antoine s’assit de son côté, la poitrine pleine de sanglots. Gilberte se mit à genoux devant le marquis, et, pleurant aussi de joie et de reconnaissance, elle couvrit ses mains de baisers.

Toute cette sensibilité impatientait l’industriel, qui la contemplait d’un œil froid et fier, et qui attendait les moyens de conciliation.

M. de Boisguilbault les tira enfin de sa poche, et les lut d’une voix nette et distincte.

Il établissait en peu de mots clairs et précis qu’il avait quatre millions cinq cent mille livres de fortune, qu’il donnait, par contrat, la nue propriété de deux millions à