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LE PÉCHÉ

tiras de mes mains sans une égratignure que tu puisses montrer ; je me contenterai de te faire la barbe avec un savon digne de toi. »

Et, ramassant de la vase noire au bord de la rivière, le charpentier en frotta la figure, la chemise et la cravate de Galuchet ; après quoi il le lâcha, et se tenant devant lui :

« Essaie de me toucher, lui dit-il, et tu verras si je ne t’en fais pas manger ! »

Galuchet venait d’éprouver trop durement la force du bras du charpentier, pour s’y exposer de nouveau. Il eut envie de lui jeter une pierre à la tête, en le voyant tourner tranquillement le dos. Mais il pensa que le cas pourrait devenir grave, et que, s’il ne l’étendait du premier coup, il faudrait le payer cher.

Il battit en retraite, non sans vomir des injures et des menaces contre lui et la drôlesse qu’il protégeait ; mais il n’osa nommer Gilberte, ni laisser voir qu’il l’eût reconnue. Il n’était pas bien sûr qu’elle ne finît pas par devenir la bru de son patron ; car depuis quelques jours qu’Émile était malade, M. Cardonnet paraissait horriblement soucieux et irrésolu.

Gilberte et le marquis ne virent pas cette scène. La jeune fille suffoquait, et, presque évanouie, se laissait traîner vers le chalet. M. de Boisguilbault, fort embarrassé de l’aventure, mais résolu à secourir loyalement une dame offensée, n’osait ni lui parler, ni lui faire comprendre qu’il l’avait reconnue. Sa méfiance lui revenait ; il se demandait si cette scène n’avait pas été arrangée pour jeter dans son sein la colombe palpitante ; mais lorsqu’elle tomba mourante au seuil du chalet, et qu’il vit sa pâleur, ses yeux éteints et ses lèvres décolorées, il fut saisi d’une tendre compassion, et d’une violente colère contre l’homme capable d’outrager une femme sans défense. Puis il se dit que cette noble enfant avait couru