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LE PÉCHÉ

fait mettre là, ce portrait ? De mon temps, il était dans le château.

— Je l’ai fait mettre ici pour le voir sans cesse, dit le marquis avec tristesse ; eh bien, depuis qu’il y est, je l’ai à peine regardé. J’entre dans ce cabinet le moins que je peux, et si je craignais que tu ne le visses, c’est que je craignais de le voir moi-même. Cela me fait mal. Ferme cette porte, si tu n’as plus besoin qu’elle soit ouverte.

— Et puis, vous craignez qu’on ne vous fasse parler de votre chagrin ? Je comprends ça, moi, et je gage, d’après ce que vous me dites là, que vous ne vous êtes jamais consolé de la mort de votre femme ! Eh bien, c’est comme moi de la mienne, et vous pouvez bien n’avoir pas honte de ça devant moi, monsieur de Boisguilbault ; car tout vieux que je suis… tenez, j’ai là comme quelque chose qui me coupe le cœur en deux, quand je pense que je suis seul au monde ! Je suis pourtant d’un caractère gai, et je n’avais pas toujours été heureux dans mon ménage ; mais, que voulez-vous ? c’est plus fort que moi : je l’aimais, cette femme ! C’est fini, le diable ne m’eût pas empêché de l’aimer.

— Mon ami, dit M. de Boisguilbault attendri, et faisant un douloureux retour sur lui-même, tu as été aimé, ne te plains pas trop ! et puis tu as été père. Qu’est devenu ton fils, où est-il ?

— Il est dans la terre avec ma femme, monsieur de Boisguilbault !

— Je l’ignorais… je savais seulement que tu étais veuf… Pauvre Jean ! pardonne-moi de te rappeler tes chagrins ! Oh ! je te plains du fond de mon cœur ! avoir un enfant et le perdre ! »

Le marquis appuya sa main sur l’épaule du charpentier, qui était penché sur le parquet pour travailler, et toute la bonté de son âme reparut sur sa figure. Jean