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DE M. ANTOINE.

le pêne joigne. Comment ! votre vieux Martin n’a pas l’esprit d’arranger ça ? Il a toujours été maladroit et embarrassé, ce chrétien-là ! »

Jean, plus fort à lui seul que les deux vieillards de Boisguilbault, referma la porte sans songer à éprouver la moindre curiosité, et le marquis lui sut gré de cette insouciance, car il l’avait observé attentivement, et avec une sorte d’inquiétude, tant qu’il avait tenu le bouton de la serrure.

« Il y a ordinairement ici un guéridon tout servi, reprit M. de Boisguilbault ; je ne conçois pas ce qu’il peut être devenu, à moins que Martin ne m’ait oublié ce soir !

— Oh ! oh ! à moins que vous ne l’ayez pas remontée, la vieille horloge de sa cervelle n’a pas été en défaut, dit le charpentier, qui se rappelait avec plaisir tous les détails de l’intérieur du marquis, autrefois si bien connus de lui. Qu’est-ce qu’il y a derrière ce paravent ? Oui-da ! ça me paraît bien friand et guère solide ! » Et il exhiba, en repliant le paravent, un guéridon chargé d’une galantine, d’un pain blanc, d’une assiette de fraises et d’une bouteille de Bordeaux.

— « C’est joli à offrir à une dame, ça, monsieur de Boisguilbault !

— Oh ! si je croyais que madame voulût accepter mon souper ! dit le marquis en faisant rouler le guéridon auprès de Gilberte.

— Pourquoi non ? hé ! dit Jean en ricanant. Je parie que la bonne âme a songé aux autres avant de songer à nourrir son corps. Voyons, si elle mangeait seulement deux ou trois fraises, et vous, cette viande blanche, monsieur de Boisguilbault, moi, je m’arrangerai bien du pain mollet et d’un verre de vin noir.

— Nous mangerons comme devraient manger tous les hommes, répondit le marquis : chacun suivant son appé-