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brun. Vous avez donc une fille ici ? Je ne l’ai pas encore vue.

— Fi donc ! Monsieur ! que dites-vous là ? s’écria Janille, dont les joues pâles et luisantes se couvrirent d’une rougeur de prude, tandis que M. Antoine souriait avec quelque embarras. Vous ignorez apparemment que je suis demoiselle.

— Pardonnez-moi, reprit Émile, je suis si nouveau dans le pays, que je peux faire beaucoup de méprises ridicules. Je vous croyais mariée ou veuve.

— Il est vrai qu’à mon âge je pourrais avoir enterré plusieurs maris, dit Janille ; car les occasions ne m’ont pas manqué. Mais j’ai toujours eu de l’aversion pour le mariage, parce que j’aime à faire à ma volonté. Quand je dis notre fille, c’est par amitié pour une enfant que j’ai quasi vue naître, puisque je l’ai eue chez moi en sevrage, et monsieur le comte me permet de traiter sa fille comme si elle m’appartenait, ce qui n’ôte rien au respect que je lui dois. Mais si vous aviez vu mademoiselle, vous auriez remarqué qu’elle ne me ressemble pas plus que vous, et qu’elle n’a que du sang noble dans les veines. Jour de Dieu ! si j’avais une pareille fille, où donc l’aurais-je prise ? j’en serais si fière, que je le dirais à tout le monde, quand même cela ferait mal parler de moi. Hé ! hé ! vous riez ! monsieur Antoine ? riez tant que vous voudrez : j’ai quinze ans de plus que vous, et les mauvaises langues n’ont rien à dire sur mon compte.

— Comment donc, Janille ! personne, que je sache, ne songe à cela, dit M. de Châteaubrun en affectant un air de gaieté. Ce serait me faire beaucoup trop d’honneur, et je ne suis pas assez fat pour m’en vanter. Quant à ma fille, tu as bien le droit de l’appeler comme tu voudras : car tu as été pour elle plus qu’une mère s’il est possible ! »