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que je sais que c’est une trahison de votre père, j’aimerais mieux me jeter dans la rivière la tête en avant, que de céder à un homme si méchant et si faux. Quant à vous, vous méritiez de sortir d’une meilleure souche ; vous avez du cœur, et aussi longtemps que je vivrai…

— Va-t-en, répondit Émile en s’approchant de lui, et garde-toi bien de me parler mal de mon père. J’ai bien des choses à te dire, moi, mais ce n’est pas le moment. Veux-tu être à Châteaubrun demain soir ?

— Oui, Monsieur. Prenez des précautions pour ne pas vous faire suivre, et ne me demandez pas trop haut à la porte. Allons, grâce à vous, j’ai encore les étoiles sur la tête, et je n’en suis pas mécontent. »

Il partit comme un trait ; et Émile, en se retournant, vit Caillaud couché tout de son long par terre, comme s’il se fût évanoui.

« Eh bien ? qu’y a-t-il ? lui demanda le jeune homme effrayé ; vous aurais-je blessé réellement ? souffrez-vous ?

— Ça ne va pas mal, monsieur, répondit le rusé villageois ; mais vous voyez bien qu’il faut que quelqu’un vienne me relever, pour que j’aie l’air d’avoir été battu.

— C’est inutile, je me charge de tout, dit Émile. Lève-toi, et va-t-en dire à mon père que je me suis opposé de force ouverte à l’arrestation de Jean. Je te suis de près, et le reste est mon affaire.

— Au contraire, monsieur, passez le premier. Il faut que je m’en aille en clopant ; car si je me mets à courir pour raconter que vous m’avez cassé les deux jambes, et que j’ai supporté ça patiemment, votre papa ne me croira pas, et je serai destitué.

— Donne-moi le bras, appuie-toi sur moi, et nous arriverons ensemble, dit Émile.

— C’est ça, monsieur. Aidez-moi un peu. Pas si vite ! Diable ! j’ai le corps tout brisé.