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et que j’y mets une partie des nuits. Ça me fatigue, ça me donne la fièvre, ça me tue quelquefois ! mais j’aime cela, vois-tu, mon garçon, comme d’autres aiment le vin. C’est mon amusement, à moi… Ah ! riez et moquez-vous, monsieur Cardonnet ; eh bien, votre ricanement m’offense, et vous ne m’aurez pas, non, vous ne m’aurez pas, quand même les gendarmes seraient là, et qu’il irait de la guillotine. Me vendre à vous corps et âme pendant deux ans ! Ne faire que ce qui vous plaira, vous voir inventer, et n’avoir pas mon avis ! car si vous me connaissez, je vous connais aussi : je sais comment vous êtes, et qu’il ne se remue pas une cheville chez vous sans que vous l’ayez mesurée. Je serais donc un manœuvre, travaillant à la corvée comme défunt mon père travaillait pour les abbés de Gargilesse ? Non, Dieu me punisse ! je ne vendrai pas mon âme à un travail aussi ennuyeux et aussi bête. Encore si vous donniez mon jour de récréation et de dédommagement, pour contenter mes anciennes pratiques et moi-même ! mais rien !

— Non, rien, dit M. Cardonnet irrité ; car l’amour-propre d’artiste commençait à être en jeu de part et d’autre. Va-t-en, je ne veux pas de toi ; prends ce napoléon, et va te faire pendre ailleurs.

— On ne pend plus, monsieur, répondit Jean en jetant la pièce d’or par terre, et quand même ça se ferait encore, je ne serais pas le premier honnête homme qui aurait passé par les mains du bourreau.

— Émile, dit M. Cardonnet dès qu’il fut sorti, faites monter ici le garde champêtre, cet homme qui est là sur le perron avec une petite fourche de fer à la main.

— Mon Dieu ! que voulez-vous faire ? dit Émile effrayé.

— Ramener cet homme à la raison, à la bonne conduite, au travail, à la sécurité, au bonheur. Quand il aura passé une nuit en prison, il sera plus traitable, et il me