Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/62

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Non, Monsieur, non. C’est les Michaud, c’est des gens et un enfant qui ne lui sont de rien ni à moi non plus : mais quand il y a du malheur quelque part, on peut bien être sûr de voir arriver Jean, et là où personne n’oserait se risquer il y court, lui, quand même il n’y a rien de rien, pas même un verre de vin à y gagner. Le bon Dieu sait bien pourtant qu’il ne fait pas bon dans ce pays-ci pour Jean, et que ce n’est guère sa place.

— Court-il donc quelque autre danger à Gargilesse que celui de se noyer comme tout le monde ? »

Sylvain ne répondit pas, et parut se reprocher d’en avoir trop dit.

« Voilà l’eau qui baisse un peu, dit-il pour détourner l’attention d’Émile ; dans une couple d’heures, nous pourrons peut-être repasser par où nous sommes venus ; car du côté de M. Cardonnet, il y en a pour six heures au moins. »

Cette perspective n’était pas très riante ; néanmoins Émile, qui ne voulait à aucun prix effrayer ses parents, s’y résigna de son mieux. Mais un accident nouveau le fit changer de résolution avant qu’une demi-heure se fût écoulée. L’eau se retirait assez vite des points extrêmes qu’elle avait envahis ; et de l’autre côté du lac qu’elle avait formé entre lui et la demeure de son père, il vit passer deux chevaux, l’un entièrement nu, l’autre sellé et bridé, que des ouvriers conduisaient vers l’habitation.

« Nos bêtes, monsieur, dit Sylvain Charasson ; oui, Dieu me bénisse, nos deux bêtes qui se sont sauvées ! Ma pauvre jument, je la croyais bien dans la Creuse à cette heure ! Ah ! M. Antoine sera-t-il content, quand je lui ramènerai sa Lanterne ! Elle aura bien gagné son avoine, et peut-être que Janille ne lui refusera pas un picotin. Et votre noire, monsieur, vous voilà pas fâché de la voir sur terre ? Il paraît qu’elle sait nager itout ? »