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me craindre, et les plus puissants eux-mêmes me ménagent, tandis que les petits tremblent et soupirent autour de moi. Cependant, comme j’ai de l’esprit et de la science, je fais le grand de temps à autre. Je sauve quelques familles, je concours à quelque établissement de charité. C’est une manière de graisser la roue de ma fortune, qui n’en court que plus vite : car on en revient à m’aimer un peu. Je ne passe plus pour bon et niais, mais pour juste et grand. Depuis le préfet du département jusqu’au curé du village, et depuis le curé jusqu’au mendiant, tout est dans le creux de ma main ; mais tout le pays souffre et nul n’en voit la cause. Aucune autre fortune que la mienne ne s’élèvera, et toute petite condition sera amoindrie, parce que j’aurai tari toutes les sources d’aisance, j’aurai fait renchérir les denrées nécessaires et baisser les denrées du superflu, au contraire de ce qui devrait être. Le marchand s’en trouvera mal et le consommateur aussi. Moi, je m’en trouverai bien, puisque je serai, par ma richesse, la seule ressource des uns et des autres. Et l’on dira enfin : Que se passe-t-il donc ? les petits fournisseurs sont à découvert, et les petits acheteurs sont à sec. Nous avons plus de jolies maisons et plus de beaux habits sous les yeux que par le passé, et tout cela coûte, dit-on, moins cher ; mais nous n’avons plus le sou dans la poche. On nous a donné une fièvre de paraître, et les dettes nous rongent. Ce n’est pas pourtant M. Cardonnet qui a voulu tout cela, car il fait du bien, et, sans lui, nous serions tous perdus. Dépêchons-nous de servir M. Cardonnet : qu’il soit maire, qu’il soit préfet, qu’il soit député, ministre, roi, si c’est possible, et le pays est sauvé !

« Voilà, messieurs, comme je me ferais porter sur le dos des autres si j’étais M. Cardonnet, et comment je suis sûr que M. Cardonnet compte faire. À présent, dites que