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enfantine, une raison calme et un courage désintéressé. Elle ne regardait son union avec Émile comme possible que dans plusieurs années, et elle sentait dans son amour assez de puissance pour attendre. Ce rude avenir se présentait à son âme pleine de foi, comme un jour radieux à traverser : et en cela elle n’était pas si folle qu’on peut le croire. C’est la foi et non la prudence qui transporte les montagnes.


XXIII.

LA PIERRE AU DIABLE.

Émile avait oublié jusqu’au nom de Constant Galuchet en se retrouvant dans les murs du cher vieux château ; et lorsqu’il entra pour saluer M. Antoine, la sotte figure du commis de son père lui fit le même effet qu’une laide chenille produit tout à coup sur celui qui s’approche sans méfiance pour saisir un fruit. Galuchet s’était préparé à rencontrer Émile de l’air aisé d’un homme qui a pris possession, le premier, d’une place enviée, et qui veut bien accueillir avec grâce les survenants. Pour un peu, il eût fait à Émile les honneurs du château. Mais le regard froid et moqueur du jeune homme, en répondant à ses saluts familièrement empressés, le déconcerta beaucoup ; ce regard semblait lui dire :

« Que faites-vous ici ? »

Cependant Galuchet, qui pensait beaucoup plus à mériter les libéralités de M. Cardonnet que les bonnes grâces de Gilberte, fit un effort sur lui-même pour retrouver son aplomb, et sa figure, qui n’était pourtant pas l’expression d’un caractère hostile, eut un aspect d’insolence inaccoutumée on ne peut plus maladroit dans la circonstance.

Émile avait pris son parti sur le vin du cru, et, pour