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Châteaubrun, car j’ai ma fille d’abord et un de mes meilleurs amis ; et puis mon chien, et même M. Charasson, qui est content comme un roi de voir le monde et d’être hébergé selon son mérite.

— Ça vous plaît à dire, monsieur, reprit Charasson, qui, au lieu de servir, était assis au coin de la cheminée ; cette auberge-ci est abominable et l’on y couche avec les chiens.

— Eh bien, vaurien que vous êtes, n’est-ce pas trop bon pour vous ? reprit M. Antoine en faisant sa grosse voix ; vous êtes bien heureux qu’on ne vous envoie pas percher avec les poules ! Comment diable, Sybarite, vous avez de la paille ; et vous craignez de mourir de faim pendant la nuit ?

— Faites excuse, monsieur, la paille ici c’est du foin, et le foin fait mal à la tête.

— S’il en est ainsi, vous coucherez sur le carreau, au pied de mon lit, pour vous apprendre à murmurer. Vous vous tenez comme un bossu, ce lit orthopédique vous fera grand bien. Allez préparer le lit de votre maître, et montez la couverture du cheval pour monsieur Sacripant. »

Émile se demandait quelle serait la fin de cette plaisanterie que M. Antoine soutint gravement jusqu’au bout, et, lorsque Gilberte se fut retirée dans sa chambre, il suivit M. Antoine dans la sienne, pour savoir s’il saurait persuader à son page de se contenter de la paille.

Le châtelain se divertit à se faire servir comme un homme de qualité. « Çà, disait-il, qu’on me tire mes bottes, qu’on me présente mon foulard, et qu’on éteigne les lumières. Vous allez vous étendre sur ces briques, et gare à vous, si vous avez le malheur de ronfler ! Bonsoir, Émile, allez vous coucher ; vous ne serez pas affligé de la société de ce drôle, qui vous empêcherait de dormir. Il dormira par terre, lui, en punition de ses plaintes ridicules. »