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et son père, habitués à ne pas se donner toutes leurs aises, et à ne se laisser arrêter par aucun temps ni aucun chemin.

Émile les devançait à cheval, pour les avertir et les aider à mettre pied à terre, quand la route était trop dangereuse. Puis, quand on se retrouvait sur le sable doux des landes, il passait derrière eux pour causer et surtout pour regarder Gilberte.

Jamais élégant du bois de Boulogne, en plongeant du regard dans la calèche brillante de sa triomphante maîtresse, n’a été si ravi et si fier que ne l’était Émile, en suivant la belle campagnarde qu’il adorait, dans les vagues sentiers de ce désert, à la clarté des premières étoiles.

Que lui importait qu’elle fût assise sur une espèce de brancard traîné par une haridelle, ou dans un carrosse superbe ? qu’elle fût vêtue de moire et de velours, ou d’une petite indienne fanée ? Elle avait des gants déchirés qui laissaient voir le bout de ses doigts roses, appuyés sur le dossier de la voiture. Pour ménager son écharpe des dimanches, elle l’avait pliée et mise sur ses genoux. Sa belle taille svelte et souple n’en ressortait que mieux. Le vent tiède du soir semblait caresser avec ardeur sa nuque blanche comme l’albâtre. Le souffle d’Émile se mêlait à la brise, et il était attaché là comme l’esclave derrière le char du vainqueur.

Il y eut un moment où, grâce au peu de précaution de Sylvain, la brouette s’arrêta tout court et faillit heurter la tête du cheval d’Émile.

Monsieur Sacripant avait mis une patte sur le marchepied, pour avertir qu’il était fatigué et qu’on eût à le prendre en voiture. M. Antoine descendit pour le saisir par la peau du cou et le jeter sur le tablier du boguet, car le pauvre animal n’avait plus les jarrets assez souples pour s’élancer si haut.