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Cependant le grand donjon carré, dont l’aspect est sarrasin en effet, se dresse encore au milieu, et, miné par la base, menace de s’abîmer à chaque instant comme le reste.

Des tours, dont un seul pan est resté debout, et plantées sur des cimes coniques, présentent l’aspect de rochers aigus, autour desquels glapissent incessamment des nuées d’oiseaux de proie.

On ne peut faire sans danger le tour de la forteresse. En beaucoup d’endroits, tout sentier disparaît, et le pied vacille sur le bord des gouffres où l’eau se précipite avec fureur.

Ce n’est que du haut des tours d’observation qu’on pouvait voir l’approche de l’ennemi ; car, de plain pied avec la base des édifices et les sommets de la montagne, la vue était bornée par d’autres montagnes arides. Mais leurs flancs calcaires s’entrouvrent aujourd’hui pour laisser couler des terres fertiles et pousser en liberté de beaux arbres souvent déracinés par le passage des eaux, quand ils ont atteint une certaine élévation.

Quelques chèvres, moins sauvages que les enfants misérables qui les gardent, se pendent aux ruines et courent hardiment sur les précipices.

Tout cela est d’une désolation si pompeuse et si riche d’accidents que le peintre ne sait où s’arrêter. L’imagination du décorateur ne trouverait qu’à retrancher dans ce luxe d’épouvante et de menace.

Émile passa là plusieurs heures, plongé dans le chaos de ses incertitudes et de ses projets. Parti avec le jour, il était dévoré par la faim et ne se rendait pas compte de la souffrance physique qui aggravait sa détresse morale.

Étendu sur un rocher, il voyait les vautours planer sur sa tête et songeait aux tortures de Prométhée, lors-