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cela ne me regarde pas, et que je ne peux rien comprendre à vos différends. Mais c’est aussi trop me traiter en petite fille, et je suis bien d’âge à deviner un peu vos peines, afin d’apprendre à vous en consoler.

« Eh bien, je m’informais auprès de M. Cardonnet, qui voit fort souvent M. de Boisguilbault, et qui a eu part à sa confiance sur des points importants, des dispositions présentes de ce gentilhomme à notre égard. Je lui disais que, pour vous ôter le chagrin que vous conserviez de l’avoir involontairement blessé, je donnerais ma vie… C’est bien là ce que je disais ?

— Et puis ? dit M. de Châteaubrun en passant sur ses lèvres la jolie main de sa fille, d’un air préoccupé.

— Et puis ? reprit-elle, M. Émile avait déjà répondu à ce que je voulais savoir, c’est-à-dire que M. de Boisguilbault nous garde une terrible rancune ; mais qu’il n’y a plus à s’en occuper, parce que cette rancune n’est fondée sur rien, et que vous n’avez, grâce à Dieu, aucun reproche à vous faire ! Au reste, j’en étais bien sûre, cher père ; je ne craignais qu’une de vos distractions. Eh bien, consolez-vous… quoique pourtant vous allez vous affecter, j’en suis sûre, de l’état fâcheux de votre ancien ami… M. de Boisguilbault est bien réellement ce qu’il passe pour être, et il faut que vous le reconnaissiez comme les autres… ce pauvre gentilhomme est fou.

— Fou ! s’écria M. Antoine frappé d’effroi et de douleur, réellement fou ? Vous l’avez entendu divaguer, Émile ? Est-ce qu’il souffre beaucoup ? est-ce qu’il se plaint ? est-ce que sa folie est constatée par les médecins ? Oh ! voilà une affreuse nouvelle pour moi ! »

Et le bon Antoine, se laissant tomber sur un banc, refoula en vain de gros soupirs. Sa robuste poitrine semblait se soulever pour se briser.

« Ô mon Dieu, voyez comme il l’aime encore ! s’écria