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Là, il aimait tout, sans réserve : les habitants, les ruines et jusqu’aux plantes et aux animaux domestiques. Mais le bonheur d’y passer sa vie, c’était le ciel à escalader ; comme il fallait, après ce rêve, retomber sur la terre, Émile tombait moins bas à Boisguilbault qu’à Gargilesse.

C’était comme une station entre l’abîme et le ciel, les limbes entre le paradis et le purgatoire. Il s’habituait, tant il y était bien reçu et jalousement gardé, à se croire chez lui. Il s’occupait du parc, rangeait les livres et prenait des leçons d’équitation dans la grande cour.

Peu à peu le vieux marquis se laissait aller aux douceurs de la société, et parfois son sourire ressemblait à un véritable enjouement.

Il ne le savait pas, ou ne voulait pas le dire : mais ce jeune homme lui devenait nécessaire et lui apportait la vie. Pendant des heures entières il semblait accepter nonchalamment cette douceur, mais lorsque Émile était au moment de partir, il voyait s’altérer insensiblement ce pâle visage et le soupir d’asthme devenait un soupir de tendresse et de regret lorsque le jeune homme s’élançait sur son cheval impatient de redescendre la colline.

Enfin il devint évident pour Émile lui-même, qui apprenait chaque jour à déchiffrer ce livre mystérieux, que l’âme du vieillard était affectueuse et sympathique, qu’il avait un regret sourd et continu de s’être voué à la solitude, et qu’il avait eu pour s’y déterminer d’autres motifs qu’une disposition maladive.

Il crut que le moment était venu de sonder cette blessure et d’en proposer le remède.

Le nom d’Antoine de Châteaubrun, prononcé déjà maintes fois sans succès, et qui s’était perdu sans écho dans le silence du parc, vint sur ses lèvres, et s’y attacha plus obstinément. Le marquis fut obligé de l’entendre et d’y répondre :