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avait raison de subir le présent avec patience en vue d’un avenir certain.

Lorsqu’il lui parlait au nom de la logique des idées, souveraine des mondes et mère des destinées humaines, au lieu de l’irriter, comme il était arrivé à M. Cardonnet de le faire, en invoquant la fausse et grossière logique du fait, il réussissait à l’apaiser et à le convaincre.

Si le contraste de leurs caractères causait au plus impatient des deux une sorte de généreux dépit, bientôt le plus calme reprenait son empire, et découvrait cette force cachée qui était en lui, et qui le rendait, pour ainsi dire, supérieur à lui-même.

Les railleries de M. Cardonnet avaient vivement froissé Émile, et l’eussent presque poussé à l’exagération du fanatisme. La haute raison de M. de Boisguilbault le réconciliait avec lui-même, et il se sentait fier d’avoir la sanction d’un vieillard aussi éclairé et aussi rigide dans ses déductions.

Comme ils étaient grandement d’accord sur le fond des choses, les discussions ne pouvaient durer longtemps, et comme le communisme était le seul sujet qui pût faire départir le marquis de son laconisme habituel, il leur arrivait bien souvent de tomber dans le silence d’une rêverie à deux.

Pourtant Émile ne s’ennuyait jamais à Boisguilbault. La beauté du parc, la bibliothèque, et surtout le plaisir réservé mais certain que le marquis trouvait à le voir, lui faisaient de ces visites un repos agréable et précieux, au sortir d’émotions plus ardentes.

Il se créait là, pour lui, sans qu’il y prît garde, un intérieur nouveau, bien plus conforme à ses goûts que l’usine bruyante et la maison militairement gouvernée de son père. Châteaubrun eût été encore plus la retraite selon son cœur.