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ne rapportait ni croquis, ni plantes, ni échantillons de minéralogie, comme il l’eût fait en tout autre temps.

La vie de campagne lui plaisait par-dessus tout ; le pays était le plus beau du monde ; le grand air et l’exercice du cheval lui faisaient un bien extrême ; enfin, tout était pour le mieux, pourvu qu’on le laissât courir ; et s’il tombait dans la rêverie, il en sortait par un sourire qui semblait dire :

« J’ai en moi de quoi m’occuper, et ce que vous me dites n’est rien auprès de ce que je pense. »

Si, par quelque artifice, M. Cardonnet réussissait à le retenir, il paraissait brisé un instant, et puis tout à coup résigné, comme un homme qu’il est impossible de déposséder de son fonds de bonheur, il se hâtait d’obéir et se mettait à la tâche pour avoir plus tôt fini.

« Il y a une jolie fille au fond de tout cela ! se dit M. Cardonnet, et l’amour rend docile cette âme rebelle. C’est fort bon à savoir. La fièvre philosophique et raisonneuse peut donc faire place à une soif de plaisir ou à des rêveries sentimentales ! J’étais bien fou de ne pas compter sur la jeunesse et sur les passions ! Laissons souffler cet orage, il emportera l’obstacle auquel je me serais brisé ; et quand il sera temps, d’arrêter l’orage, j’y aviserai. Dépêche-toi de courir et d’aimer, mon pauvre Émile ! Il en est de toi comme du torrent qui me fait la guerre : tous deux vous vous soumettrez quand vous sentirez la main du maître ! »

M. Cardonnet n’avait pas la conscience de sa cruauté. Il ne croyait pas à la force et à la durée de l’amour, et n’attachait pas plus d’importance à un désespoir de jeune homme qu’à des larmes d’enfant.

S’il eût pensé que mademoiselle de Châteaubrun pouvait devenir victime de son plan d’attente, il s’en fût fait conscience peut-être. Mais ici l’esprit de propriété et le chacun pour soi l’empêchaient de prévoir le mal d’autrui.