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bibliothèque, il avait soin de ne les remettre à Gilberte qu’un à un, afin d’avoir toujours un motif pour paraître devant elle.

Ni Janille ni M. Antoine ne songèrent à s’étonner du plaisir que Gilberte prenait à la lecture, ni à en surveiller le choix : la première, parce qu’elle ne savait pas lire ; le second, parce que la prévoyance n’était pas son fait. Mais l’ange gardien de la jeune fille n’était pas plus soigneux de la pureté de ses pensées que ne le fut Émile.

Son amour enveloppait Gilberte d’un respect inviolable, et la sainte candeur de cette enfant était un trésor dont il se fût montré plus jaloux que son père, à qui, suivant l’expression de Janille, le bien était toujours venu en dormant.

Aussi, avec quelle attention, avant de lui remettre un volume, quel qu’il fût, histoire, morale, poésie ou roman, il le feuilletait, dans la crainte qu’il ne s’y trouvât un mot qui pût la faire rougir !

Si, dans son ignorance confiante, elle lui demandait à connaître quelque livre sérieux où il se souvenait que certains détails ne dussent pas être mis sous les yeux d’une jeune vierge, il lui répondait qu’il l’avait en vain cherché dans la collection de Boisguilbault, et qu’il ne s’y trouvait point.

Une mère n’eût pas mieux agi en pareil cas que ne le fit le jeune amant de Gilberte ; et plus l’incurie affectueuse du père et de la fille eût favorisé, sans le savoir, des tentatives de corruption, plus Émile se faisait un devoir cher et sacré de justifier l’abandon de ces âmes naïves.

Les occasions où Émile pouvait entretenir Gilberte de ce qui se passait entre lui et M. de Boisguilbault étaient bien courtes et bien rares, car Janille ne les quittait presque jamais ; et lorsqu’ils étaient avec M. Antoine, Gil-