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prises difficiles, et puissiez-vous trouver l’occasion d’agir !

« Quant à moi, j’ai des projets pour plus tard… pour après ma mort. Je vous les dirai peut-être quelque jour… Regardez ce beau jardin que j’ai créé… ce n’est pas sans intention… mais je veux vous connaître mieux avant de m’expliquer ; me le pardonnez-vous ?

— Je m’y soumets, et je suis certain d’avance que votre prédilection pour ce paradis terrestre n’est pas une pure manie de propriétaire oisif.

— J’ai pourtant commencé par là. Ma maison m’était devenue antipathique ; rien ne sert la paresse et le dégoût comme l’ordre immuable, c’est pourquoi vous avez vu cette maison si bien entretenue et si bien rangée. Mais je ne tiens à rien de ce qu’elle renferme, et je puis bien vous confier que je n’y ai pas dormi depuis quinze ans.

« Le chalet où nous avons pris le café est ma véritable demeure. Il y a une chambre à coucher et un cabinet de travail que je ne vous ai point ouverts, et où personne n’est entré depuis qu’ils sont construits, pas même Martin.

« Ne parlez de cela à personne, la curiosité m’y poursuivrait peut-être. Elle assiège déjà bien assez le parc le dimanche.

« Les oisifs des environs y restent jusqu’à onze heures du soir, et je n’y rentre que lorsque la fermeture des grilles les force à se retirer.

« Je me lève fort tard le lundi, afin que les ouvriers aient eu le temps de faire disparaître toutes les traces de l’invasion, avant que je les aie vues. Martin veille à cela.

« Ne m’accusez pas de misanthropie, quoique je mérite bien un peu de l’être. Tâchez plutôt d’expliquer cette anomalie d’un homme pénétré de la nécessité de la vie en commun, et cependant forcé par ses instincts de fuir la présence de ses semblables.