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votre âge, la vérité passionne, et qu’on s’en fait un idéal qu’on aime à placer un peu haut et un peu loin, pour avoir le plaisir de l’atteindre en combattant. Mais je ne peux pas m’émouvoir comme vous pour cette vérité qui me paraît, à moi, aussi positive, aussi évidente, aussi incontestable qu’elle vous semble neuve, hardie et romanesque.

« C’est chez moi le résultat d’une étude plus approfondie et d’une certitude mieux assise. Je ne hais pas votre vivacité, mais je ne me ferais pas un reproche de la combattre un peu pour vous empêcher de compromettre la doctrine par trop de pétulance.

« Prenez-y garde : vous êtes trop heureusement doué pour devenir jamais ridicule et vous plairez quand même aux gens qui vous combattront ; mais craignez qu’en parlant trop vite et à trop de gens rebelles de choses si graves et aussi respectables, vous ne fassiez naître en eux des contradictions systématiques et une défense de mauvaise foi.

« Que diriez-vous d’un jeune prêtre qui ferait des sermons en dînant ? Vous trouveriez qu’il compromet la majesté de ses textes. La vérité communiste est tout aussi respectable que la vérité évangélique ; puisqu’au fond c’est la même vérité. N’en parlons donc pas à la légère et par manière de dispute politique.

« Si vous êtes exalté, il faut vous sentir bien maître de vous-même pour la proclamer ; si vous êtes flegmatique, comme moi, il faut attendre qu’un peu de confiance et de liberté d’esprit vous vienne pour ouvrir votre cœur aux hommes sur un pareil sujet.

« Voyez-vous, monsieur Cardonnet, il ne faut pas qu’on dise que ce sont là des folies, des songes creux, une fièvre de déclamation ou une extase de mysticisme. On l’a assez dit, et assez de têtes faibles ont donné le droit de le dire.