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fou, et il se plut à provoquer des contradictions qui lui permettraient enfin de pénétrer dans cette âme mystérieuse.

« Que ne puis-je amener une explosion de dédain ou d’indignation ! se disait-il ; c’est alors que je verrais le fort et le faible de la place. »

Et, sans s’en douter, il suivait avec le marquis la même tactique que son père avait suivie naguère avec lui ; il affectait de fronder et de démolir tout ce qu’il supposait devoir être plus ou moins sacré aux yeux du vieux légitimiste ; « la noblesse aussi bien que l’argent, la grande propriété, la puissance des individus, l’esclavage des masses, le catholicisme jésuitique, le prétendu droit divin, l’inégalité des droits et des jouissances, base des sociétés constituées, la domination de l’homme sur la femme, considérée comme marchandise dans le contrat de mariage, et comme propriété dans le contrat de la morale publique ; enfin, toutes ces lois païennes que l’Évangile n’a pu détruire dans les institutions, et que la politique de l’Église a consacrées. »

M. de Boisguilbault paraissait écouter mieux qu’à l’ordinaire ; ses grands yeux bleus s’étaient arrondis comme si, à défaut du vin qu’il ne buvait pas, la surprise d’une telle déclaration des droits de l’homme l’eût jeté dans une stupeur accablante.

Émile regardait son verre, rempli d’un tokai de cent ans, et se promettait d’y avoir recours pour se donner du montant, si la chaleur naturelle de son jeune enthousiasme ne suffisait pas à conjurer l’avalanche de neige près de rouler sur lui.

Mais il n’eut pas besoin de ce topique, et, soit que la neige eût trop durci pour se détacher du glacier, soit qu’en ayant l’air d’écouter, M. de Boisguilbault n’eût rien entendu, la téméraire profession de foi de l’enfant