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solive, ou qu’il ne se laissât choir du haut de son échelle, quand, avec ses distractions, il s’installait là-dessus comme au coin de son feu.

— Tu me fais peur, Janille, dit Gilberte. Oh ! en ce cas, tu fais bien de le dégoûter par tes railleries de recommencer, et, en cela comme en tout, tu es notre Providence ! »

Mademoiselle de Châteaubrun disait encore plus vrai qu’elle ne croyait. Janille avait été le bon ange attaché à l’existence d’Antoine de Châteaubrun. Sans sa prudence, sa domination maternelle et la finesse de son jugement, cet homme excellent n’eût pas traversé la misère sans s’y amoindrir un peu au moral. Il n’eût pas sauvé, du moins, sa dignité extérieure aussi bien que la candeur de ses instincts généreux. Il eût péché souvent par trop de résignation et d’abandon de lui-même. Porté à l’épanchement et à la prodigalité, il fût devenu intempérant ; il eût pris autant des défauts du peuple que de ses qualités, et peut-être eût-il fini par mériter par quelque endroit le dédain que de sottes gens et de vaniteux parvenus se croyaient en droit d’avoir pour lui, quand même.

Mais, grâce à Janille, qui, sans le contrarier ouvertement, avait toujours maintenu l’équilibre et ramené la modération, il était sorti de l’épreuve avec honneur, et il n’avait point cessé de mériter l’estime et le respect des gens sages.

Le bruit du rouet de Gilberte interrompit la conversation, ou du moins la rendit moins suivie. Elle ne voulait plus s’interrompre qu’elle n’eût fini sa tâche ; et pourtant elle y mettait encore plus d’ardeur que le motif apparent de son activité n’en comportait. Elle pressait Émile de ne pas s’ennuyer à entendre ce sifflement monotone, et d’aller explorer les ruines avec Janille ; mais, comme Janille aussi voulait achever sa quenouille, Gilberte se hâtait