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des chouettes, et elle n’en est pas moins jeune et jolie. L’air et l’eau ne manquent pas ici, et malgré les nouvelles lois contre la liberté de la chasse, on voit encore quelquefois des lièvres et des perdrix sur la table du seigneur de Châteaubrun. Allons, si vous n’avez pas des affaires qui vous obligent de risquer votre vie pour arriver avant le jour, venez avec moi, je me charge de vous faire bien accueillir au château. Et quand même vous y arriveriez seul et sans recommandation, il suffit que la nuit soit mauvaise, et que vous ayez la figure d’un chrétien, pour que vous soyez bien reçu et bien traité chez M. Antoine de Châteaubrun.

— Ce gentilhomme est pauvre, à ce qu’il paraît, et je me ferais scrupule d’user de sa bonté d’âme.

— Vous lui ferez plaisir, au contraire. Allons, vous voyez bien que l’orage va recommencer plus fort que tout à l’heure, et je n’aurais pas la conscience en repos si je vous laissais ainsi tout seul dans la montagne. Voyez-vous, il ne faut pas m’en vouloir pour vous avoir refusé mes services : j’ai mes raisons, que vous ne pouvez pas juger, et que je n’ai pas besoin de dire ; mais je dormirai plus tranquille si vous suivez mon conseil. D’ailleurs je connais M. Antoine ; il me saurait mauvais gré de ne pas vous avoir retenu et emmené chez lui, et il serait capable de courir après vous, ce qui ne serait pas bon pour lui après souper.

— Et… vous ne pensez pas que sa fille fût mécontente de voir arriver ainsi un inconnu ?…

— Sa fille est sa fille, c’est-à-dire qu’elle est aussi bonne que lui, si elle n’est pas meilleure, quoique cela ne paraisse guère possible. »

Le jeune homme hésita encore quelque temps ; mais, poussé par un attrait romanesque, et créant déjà dans son imagination le portrait de la perle de beauté qu’il allait