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vent[1]. Il prétend que sa vue s’est éclaircie, que sa jeunesse est revenue, et que, si l’été avait pu durer toujours, il n’aurait jamais eu besoin de retourner vivre au village. Mais, au fond du cœur, il a pour son pays natal une tendresse invincible, et d’ailleurs, l’inaction ne peut lui plaire longtemps. Nous l’avons pressé ce matin de s’établir chez nous, et d’y vivre comme nous, sans souci du lendemain.

« — Il y a bien assez de place ici, et bien assez de matériaux, lui disait mon père, pour que tu te bâtisses une habitation. J’ai assez de pierres et de vieux arbres pour te fournir le bois de construction. Je t’aiderai à élever ta demeure comme tu m’as aidé à relever la mienne. »

« Mais Jean ne pouvait entendre à cela.

« — Eh bien, disait-il, que ferai-je donc pour tuer le temps, quand vous m’aurez établi en seigneur ? Je ne peux pas vivre de mes rentes, et je ne veux pas être à votre charge pendant trente ans que j’ai peut-être encore à exister… Quand même vous seriez assez riche pour cela, moi je périrais d’ennui. C’est bon pour vous, monsieur Antoine, qui avez été élevé pour ne rien faire. Quoique vous ne soyez pas fainéant, et vous l’avez prouvé ! il ne vous en a rien coûté de reprendre l’habitude de vivre en Monsieur ; mais moi, je ne dois plus ni courir ni chasser : j’aurais donc les bras croisés ? Je deviendrais fou au bout de la première semaine. »

  1. Il y a une manière de coucher sainement à la belle étoile, malgré la fraîcheur du climat, qui est bien connue de tous les bouviers, mais dont probablement peu de nos lecteurs parisiens s’aviseraient. C’est d’entrer dans un pâturage, de faire lever un des bœufs qui y sont couchés, et de s’étendre à sa place. Lorsqu’on se sent refroidir et gagner par l’humidité, il ne s’agit que de faire lever un autre bœuf. La place occupée pendant quelques heures par le corps de ces animaux est toujours parfaitement séchée, et d’une chaleur agréable et salutaire.