Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/184

Cette page a été validée par deux contributeurs.

un peu, et vous serez dans la cour. C’est le chemin au Jean. »

Émile sauta sur l’herbe qui amortit le bruit, et approcha du pavillon carré, sans avoir effrayé les deux chèvres qui semblaient déjà le connaître.

Monsieur Sacripant, qui n’était pas plus fier que son maître et ne dédaignait pas de faire, au besoin, l’office de chien de berger, quoiqu’il appartînt à la race plus noble des chasseurs, avait conduit les moutons à la foire.

Au moment d’entrer, Émile s’aperçut que le cœur lui battait si fort, émotion qu’il attribua à son ascension rapide sur le flanc du rocher, qu’il s’arrêta un peu pour se remettre et faire convenablement son entrée. Il entendait dans l’intérieur le bruit d’un rouet, et jamais aucune musique n’avait retenti plus agréablement à son oreille. Puis le sifflement sourd du petit instrument de travail s’arrêta, et il reconnut la voix de Gilberte qui disait :

« Eh bien, c’est vrai, Janille, je ne m’amuse pas les jours où mon père est absent. Si je n’étais pas avec toi, je m’ennuierais peut-être tout à fait.

— Travaille, ma fille, travaille, répondit Janille : c’est le moyen de ne jamais s’ennuyer.

— Mais je travaille et je ne m’amuse pourtant pas. Je sais bien qu’il n’y a pas de nécessité à s’amuser ; mais moi, je m’amuse toujours, je suis toujours prête à rire et à sauter, quand mon père est avec nous. Conviens, petite mère, que s’il nous fallait vivre longtemps séparées de lui, nous perdrions toute notre gaieté et tout notre bonheur ! Oh ! vivre sans mon père, ce serait impossible ! j’aimerais autant mourir tout de suite.

— Eh bien, voilà de jolies idées ! reprit Janille ; à quoi diantre allez-vous penser, petite tête ? Ton père est encore jeune et bien portant, grâce à Dieu ! d’où te vient donc cette folie depuis deux ou trois jours ?