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celle des nobles personnages que tu fréquentes te dédommage un peu. »

En toute autre circonstance, Émile eût retardé son départ, pour montrer ou du moins pour faire croire que le reproche n’était pas mérité ; mais il commençait à comprendre que la tactique de son père était de le railler quand il voulait le faire parler ; et comme il sentait un attrait invincible le pousser vers Châteaubrun, il résolut de ne pas se laisser surprendre.

Quoique rien au monde ne lui fût plus sensible que la moquerie des êtres qu’il aimait, il fit un effort pour affecter de la prendre cette fois en bonne part.

« Je me promets tant de plaisir, en effet, chez M. de Boisguilbault, dit-il, que je vais prendre le plus long pour m’y rendre, et que mon école buissonnière sera probablement de cinq ou six lieues, à moins que vous n’ayez besoin de moi, mon père, auquel cas je vous sacrifierais volontiers les délices d’une promenade en plein soleil dans des chemins à pic. »

Mais M. Cardonnet ne fut pas dupe de son stratagème, et il lui répondit avec un regard clair et pénétrant :

« Va où le démon de la jeunesse te pousse ! je ne m’en inquiète pas, et pour cause.

— Eh bien, se dit Émile en prenant le galop, si vous ne vous en inquiétez pas, je ne m’inquiéterai pas davantage de vos menaces ! »

Et, sentant malgré lui le feu de la colère bouillonner dans son sein, il fournit une course violente pour se calmer.

« Mon Dieu, pensait-il peu de moments après, pardonnez-moi ces mouvements de dépit que je ne puis réprimer. Vous savez pourtant que mon cœur est plein d’amour, et qu’il ne demande qu’à respecter et à chérir ce père qui prend à tâche de refouler tous ses élans et de glacer toutes ses tendresses. »